Aide aux insurgés d’Amérique
Pendant près de deux ans, les trois quarts de l'armement des Insurgés proviendront de cette filière clandestine. Deux années passées à négocier des achats, à dérouter les espions, à intriguer pour débloquer le départ des navires dont le stationnement à quai coûte une fortune, à réclamer les cargaisons de tabac qui n'arrivent pas ou à chercher en remplacement un fret de retour. «Je n'aurais jamais accompli ce que j'ai fait, écrira Deane ( à gauche ) au Congrès, sans les efforts infatigables, ardents et généreux de M. Beaumarchais, à qui les Etats-Unis sont à tous égards redevables, plus qu'à quiconque de ce côté-ci de l'Atlantique.»
Les trois vies de Beaumarchais en 1782
Beaumarchais mène au moins trois vies en ce moment :
l'amour en arc-en-ciel, du rouge au bleu-pervenche...
les affaires embrouillées â n'y pas croire (de moins en moins agent secret, de plus en plus trafiquant de n'importe quoi avec les États-Unis, il s'est enfoncé jusqu'au cou dans son propre sac de noeuds et risque d'y être étranglé; en fait d'immense fortune, il est au bord de la ruine parce qu'il s'est débrouilé comme un manche et que le Congrès de Philadelphie refuse de reconnaître ses créances)...
Enfin sa vie d'homme de lettres : il vient de fonder la Société des auteurs, il édite un Voltaire complet en soixante-douze volumes au prix de mille difficultés, et, il fabrique lui-même avec un soin d'artisan une bombe de nature i faire péter son siècle : le Mariage de Figaro, monté et patiné depuis six ou sept ans avec une sorte de passion froide.
Les amours de Beaumarchais
On assure qu'il aime sa fille à la passion : un bon père ne peut être un mauvais coeur. Et que cette fille soit sans mère, officielle du moins, ajoute du piment à la chose. Eugénie de Beaumarchais est née voici cinq ans du mariage sans autel et sans contrat de son père avec Marie-Thérèse de Willermawlaz, cette jeune bourgeoise d'origine suisse à la beauté lourde et discrète qui était venue lui demander, au temps du procès Goézman, d'aller parfois jouer de la harpe chez lui, un peu trop tard dans la nuit. Elle lui apporte le côté tranquille de l'amour : « la mélancolie vague du soleil dans les nuages, la légèreté française sur le piédestal de la dignité suisse », et, elle sait en imposer aux commis de ses bureaux quand il va courir çà et là.
Pourquoi ne l'a-t-il pas épousée? Presque par oubli. Peut-être parce qu'il se méfie du mariage, après deux veuvages pleins de ragots; sûrement, parce qu'il flambe encore par d'autres bouts : l'érotisme déchaîné avec une Mme de Godeville, le platonisme trouble avec « Ninon », une petite provinciale de dix-sept ans qui lui écrit d'Aix-en-Provence, rien que pour sa célébrité, et, lui demande conseil sur des amours confus qu'elle mène depuis l'âge de douze ans.
